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1. A quoi a-t-on droit ? La question de la justice distributive

Sommaire

Exercice

Amartya Sen, L’idée de justice (2010)
Il s’agit de décider lequel de ces trois enfants – Anne, Bob ou Carla – doit recevoir la flûte qu’ils se disputent.
Anne la revendique au motif qu’elle est la seule des trois à savoir en jouer (les autres ne nient pas) et qu’il serait vraiment injuste de refuser cet instrument au seul enfant capable de s’en servir. Sans aucune information, les raisons de lui donner la flûte sont fortes.
Autre scénario : Bob prend la parole, défend son droit à avoir la flûte en faisant valoir qu’il est le seul des trois à être pauvre au point de ne posséder aucun jouet. Avec la flûte, il aurait quelque chose pour s’amuser (les deux autres concèdent qu’ils sont plus riches et disposent d’agréables objets). Si l’on entend que Bob et pas les autres enfants, on a de bonnes raisons de lui attribuer la flûte.
Dans le troisième scénario, c’est Carla qui fait remarquer qu’elle a travaillé assidûment pendant des mois pour fabriquer cette flûte (les autres le confirment) et au moment précis où elle a atteint le but, « juste à ce moment-là », se plaint-elle, « ces pilleurs tentent de lui prendre la flûte ». Si l’on entend que les propos de Carla, on peut être enclin à lui donner la flûte, car il est compréhensible qu’elle revendique un objet fabriqué de ses propres mains.
Mais si l’on a écouté les trois enfants et leurs logiques respectives, la décision est difficile à prendre.

EXERCICE EN GROUPES

  1. Identifier les raisons qui justifient la position de chaque enfant.
    1. Anne, qui seule sait jouer de la flûte, peut légitimement la réclamer car…
    2. Bob, qui est pauvre contrairement aux autres, serait légitime à obtenir l’instrument car…
    3. Carla, celle qui a fabriqué la flûte, peut faire valoir ses prétentions car…
  2. Trouver un fondement philosophique aux réclamations de chacun :

    Consulter la carte mentale sur les principes de la justice sociale : quel type de justice redistributive correspondent aux arguments de chaque enfant ?

  3. « Mais si l’on a écouté les trois enfants et leurs logiques respectives, la décision est difficile à prendre ». Chaque membre du groupe choisit un des trois enfants et défend sa position. Utilisez les textes suivants pour développer vos arguments. Un quatrième élève prend des notes pour résumer ensuite le débat.

Utilitarisme

Muriel Gilardone, 3 enfants, 1 flûte : le choix des principes de justice chez Amartya Sen (Revue “L’Économie politique”, 2019)
L’’utilitarisme se veut une doctrine résolument moderne, humaniste et altruiste. […] seuls comptent les états de plaisir ou de souffrance vécus par les êtres humains. L’utilitarisme cherche donc à guider nos actions, tant individuelles que collectives, en articulant avec rigueur une idée simple et attractive : une société juste est une société heureuse.
Les utilitaristes sont en fait les premiers à avoir proposé une réponse scientifique et conséquentialiste aux questions fondamentales de la philosophie politique : « que devons-nous faire de notre société ? Quel est le critère qui doit régir nos décisions collectives ? Quelle est la nature de la société juste ? » (Van Parijs 1991). On qualifie parfois leur approche d’« hédoniste », étant donné leur souci de découvrir et de choisir l’option réduisant les souffrances et accroissant le bonheur des membres de la société. Plus précisément, l’utilitarisme classique présuppose qu’il est possible de faire correspondre à chaque individu un niveau d’utilité – ou un niveau de bonheur – pour toute option envisageable, puis d’additionner les niveaux d’utilité atteints par chacun afin de découvrir l’option à laquelle correspond la somme la plus élevée d’utilité. Il s’agit donc d’une façon systématique et cohérente d’évaluer les états sociaux en cherchant celui qui produit le plus grand bonheur des membres d’une société.

Libéralisme (méritocratie)

Murray Rothbard, L’éthique de la liberté (1982)
Nous avons présenté la société libre comme une société où les titres de propriété se fondent sur certains faits de nature fondamentaux qui caractérisent l’homme : la possession par la personne d’elle-même et des produits de son travail, ainsi que son contrôle effectif des ressources naturelles qu’elle a découvertes et transformées […]. On peut caractériser le régime de la liberté complète – la société libertarienne – comme une société dans laquelle aucun Droit de propriété n’a été « distribué » (1), c’est-à-dire où aucun homme ne subit d’ingérence de la part d’autres personnes dans le contrôle qu’il exerce sur sa personne ou sur ses biens tangibles. […] Ainsi, toute propriété sur le marché libre se ramène-t-elle en dernière analyse à : a) la propriété par chaque homme de sa propre personne et de son travail ; b) la propriété par chaque homme de la terre qu’il trouve inemployée et qu’il a transformée par son propre travail ; et c) l’échange des produits issus de la combinaison de a) et de b) contre la production tirée de ressources similaires par les autres participants au marché.

(1) C’est-à-dire attribué et reconnu par l’État.

Égalitarisme

Jean-Fabien Spitz, John Rawls et la question de la justice sociale (Revue “Études”, 2011)
Si on demandait à un groupe de personnes, à l’aveugle, de définir une société juste, John Rawls pense que leur intuition première serait de refuser tout critère de répartition dont le caractère arbitraire ou contingent serait manifeste. Ils rejetteraient bien entendu la race, le sexe ou la caste de naissance, mais aussi toute répartition qui pourrait subir l’influence de l’origine sociale. A la place ils choisiraient un principe de juste égalité des chances qui garantit que, à vocation et à qualités identiques, les individus auraient une chance égale et équitable d’atteindre les mêmes positions sociales. Cela suffirait-il à satisfaire leur aspiration au respect de l’égalité morale ? Non, car un tel système donnerait naissance à une méritocratie dans laquelle les mieux doués obtiendraient une part plus importante des ressources sociales. Or la répartition des talents et des aptitudes est aussi arbitraire que l’origine sociale et, même s’il était possible d’évaluer la contribution de chacun à l’œuvre collective, il ne serait pas juste de calculer les rétributions en conséquence, car cette contribution est toujours facteur de qualités personnelles dont les porteurs ne peuvent revendiquer la responsabilité et qui, d’une certaine manière, ne leur sont attachées que de manière arbitraire. Les partenaires en concluraient que, puisque les individus ont la même valeur morale, ils ont droit à des ressources identiques. Si l’on y réfléchit quelque peu, on s’aperçoit que cette idée est conforme au bon sens. Pourquoi, en effet, des individus pourraient-ils revendiquer une part plus importante des ressources sociales sous le seul prétexte que le sort ou la nature les a favorisés en les dotant de qualités dont la société est demandeuse ?

Complément : vidéo sur la conception de l’égalité d’Amarty Sen