2. Les critiques de l’État : libéralisme, marxisme, anarchisme
NOTION PRINCIPALE : ÉTAT
NOTION COMPLÉMENTAIRE : LIBERTÉ
ACTIVITÉ DE GROUPE
- Lisez ensemble les textes et étudiez-les en répondant aux questions
- Formez un trinôme et débattez : chaque représentant d’une théorie politique (libéralisme, marxisme, anarchisme) défend sa position. Prenez des notes.
- Écrivez un dialogue entre trois personnages qui défendent chacun une des trois théories.
3.1. Le libéralisme
Théorie libérale
La conception « libérale » de la société, dont John Locke, Montesquieu, Benjamin Constant et Tocqueville furent des représentants, repose sur l’idée que les individus ont des droits inaliénables (sécurité, propriété, liberté d’expression, etc.) qui sont ancrés dans la nature (droits « naturels ») et que l’État a pour vocation essentielle d’établir et de préserver.
L’État doit donc intervenir le moins possible dans les affaires humaines, et se contenter d’assurer la paix publique (on parle alors d’État Régalien, à l’opposé de l’État Providence qui intervient dans la société pour corriger les inégalités, notamment par le moyen de l’impôt et de la redistribution).
John Locke (philosophe anglais du 17e s.) défend ainsi l’idée que ce n’est pas l’individu qui est au service de l’État mais l’État qui est au service de l’individu : un instrument au moyen duquel les individus préservent leurs vies, leurs libertés et leurs biens. Dans l’état de nature, chacun est maitre de sa personne et détient le produit de son travail. L’État n’est institué qu’en raison des conflits lies à l’insuffisance des ressources ; il doit seulement garantir la propriété individuelle et veiller à la protection des libertés privées.
J. R. McCulloch, Les principes de l’économie politique (1843) |
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Chaque individu est constamment en train de rechercher les façons les plus avantageuses d’employer son capital et son travail. Il est vrai que c’est son propre intérêt, non celui de la société, qu’il a en vue ; mais la société n’étant rien de plus qu’une collection d’individus, il est évident que chacun, en recherchant constamment son propre développement, suit précisément la ligne de conduite qui va le plus dans le sens de l’intérêt public. (…) La meilleure politique est de laisser les individus rechercher leur propre intérêt à leur propre façon, et de ne jamais perdre de vue la maxime : « Ne pas trop gouverner ». C’est par les efforts spontanés et libres des individus pour améliorer leur condition (…) et par eux seulement, que les nations deviennent riches et puissantes. |
1. Selon McCulloch, la concurrence sociale entre les individus est-elle nuisible ? Justifiez. 2. Quelle politique l’État doit-il adopter vis-à-vis des individus ? |
John Locke, Deuxième traité du gouvernement civil, (1690) |
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Il est certain que la fin [but] d’une loi n’est pas d’abolir ou de restreindre la liberté mais de la préserver et de l’augmenter. Ainsi, partout où vivent des êtres créés capables de lois, là où il n’y a pas de lois il n’y a pas non plus de liberté. Car la liberté consiste à n’être pas exposé à la contrainte et à la violence des autres ; ce qui ne peut se trouver là où il n’y a pas de loi. La liberté n’est toutefois pas, comme on le prétend, le loisir pour tout homme de faire ce qui lui plaît – qui, en effet, serait libre là où n’importe quel autre, d’humeur méchante, pourrait le soumettre ? – mais le loisir de conduire et de disposer comme il l’entend de sa personne, de ses biens, et de tout ce qui lui appartient, suivant les lois sous lesquelles il vit ; et par là, de n’être pas sujet à la volonté arbitraire d’un autre mais de suivre librement la sienne propre. |
1. Comment John Locke définit-il la liberté ? Qu’est-ce quelle est, et qu’est-ce qu’elle n’est pas ? 2. Dans ce texte, la « loi » est ce que peut décréter l’État. Quel est le rôle de l’État ? |
3.2. Le marxisme
Théorie marxiste
Karl Marx n’invente pas le communisme, mais il le théorise. Selon lui, la société est divisée en classes : Prolétariat, Bourgeoisie, qui par définition n’ont pas les mêmes intérêts. L’État fournit un ensemble d’appareils répressifs d’État (police, tribunaux) et d’appareils idéologiques d’État (éducation, médias, justice) qui défendent les intérêts de la classe dominante. Le surgissement de l’État traduit donc l’émergence d’une classe sociale qui domine l’autre. Par exemple, la loi dans une démocratie libérale défend la propriété individuelle (Marx critique le « droit de propriété » consacré dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen), et donc la bourgeoisie (le prolétaire est celui qui ne possède rien d’autre que sa force de travail). Selon Marx, l’État reflète donc nécessairement le pouvoir de la classe la plus puissante économiquement. En l’occurrence, au XIXe s., la bourgeoisie.
Les marxistes défendent la thèse du dépérissement de l’État (qu’ils jugent plus réaliste que la thèse anarchiste de l’abolition de l’État). La révolution socialiste (transformation des rapports de production, fin de la propriété privée) doit conduire à l’abolition de l’État de la bourgeoisie. Celui-ci sera remplacé par l’État prolétarien qui doit logiquement s’éteindre de lui-même : l’opposition de classe n’existant plus, l’État n’a plus de raison d’être (disparition du conflit et donc de la nécessité de la répression). L’idéal communiste d’une société sans classe est une société sans État.
Karl Marx et Friedrich Engels, Le manifeste communiste (1848) |
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Nous avons déjà vu plus haut que la première étape dans la révolution ouvrière est la constitution du prolétariat en classe dominante, la conquête de la démocratie. Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’Etat, c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour augmenter au plus vite la quantité des forces productives. Cela ne pourra naturellement se faire, au début, que par une violation despotique du droit de propriété et du régime bourgeois de production (…). Les mesures suivantes pourront assez généralement être mises en application : 1. Expropriation de la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de l’Etat. 2. Impôt fortement progressif. 3. Abolition de l’héritage. 4. Confiscation des biens de tous les émigrés et rebelles. 5. Centralisation du crédit entre les mains de l’Etat, au moyen d’une banque nationale, dont le capital appartiendra à l’Etat et qui jouira d’un monopole exclusif. 6. Centralisation entre les mains de l’Etat de tous les moyens de transport. 7. Multiplication des manufactures nationales et des instruments de production ; défrichement des terrains incultes et amélioration des terres cultivées, d’après un plan d’ensemble. 8. Travail obligatoire pour tous ; organisation d’armées industrielles, particulièrement pour l’agriculture. 9. Combinaison du travail agricole et du travail industriel ; mesures tendant à faire graduellement disparaître l’antagonisme entre la ville et la campagne. 10. Éducation publique et gratuite de tous les enfants. Abolition du travail des enfants dans les fabriques tel qu’il est pratiqué aujourd’hui. Combinaison de l’éducation avec la production matérielle, etc. |
1. En quoi consiste la révolution ouvrière prônée par Marx et Engel ? 2. En quoi les 10 mesures proposées sont-elles démocratiques ? Quelle conception de la démocratie est défendue ici ? |
Karl Marx et Friedrich Engels, Le manifeste communiste (1848) |
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Lorsque, dans le cours du développement, les différences de classe auront disparu et que toute la production sera concentrée entre les mains des individus associés, le pouvoir public perdra son caractère politique. Le pouvoir politique au sens strict du terme est le pouvoir organisé d’une classe pour l’oppression d’une autre. Si, dans sa lutte contre la bourgeoisie, le prolétariat est forcé de s’unir en une classe ; si, par une révolution, il se constitue en classe dominante et, comme telle abolit par la force les anciens rapports de production – c’est alors qu’il abolit en même temps que ce système de production les conditions d’existence de l’antagonisme des classes ; c’est alors qu’il abolit les classes en général et, par là même, sa propre domination en tant que classe. L’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses conflits de classe, fait place à une association ou le libre épanouissement de chacun est la condition du libre épanouissement de tous. |
1. Expliquez : « le pouvoir public perdra son caractère politique ». 2. Quel est le but final de l’abolition de l’État ? |
3.3. L’anarchisme
Théorie anarchiste
Politiquement, le terme « anarchie » ne signifie pas désordre ou chaos. Pour Proudhon, penseur politique français du 19e s., l’anarchie est l’ordre sans le pouvoir. L’idée principale est que les hommes n’ont pas besoin d’être gouvernés par une puissance supérieure, mais peuvent se gouverner eux-mêmes en passant entre eux librement des contrats. La devise anarchiste est ainsi « Ni Dieu, ni maître » (titre d’un journal créé par l’anarchiste français Auguste Blanqui au 19e s.) : il ne faut obéir ni à un maître dans le ciel, ni à un maître sur terre. Chacun doit rester son propre maître.
L’État est ainsi considéré comme l’expression d’un pouvoir coercitif et tyrannique extérieur à la société. Il cache des rapports de pouvoirs : la représentation politique du peuple par l’État est en réalité la confiscation du pouvoir du peuple par les représentants. L’État n’est pas l’émanation des individus et des communautés plus petites qui le composent, il en est au contraire la négation. Il n’est qu’une abstraction. Les hommes doivent pouvoir vivre librement dans une société sans classe sociale, sans État, sans institution comme la police ou l’armée. Cela suppose une autre conception de la démocratie, plus horizontale et non, telle que nous la connaissons, verticale. Cela suppose aussi une autre forme de participation à la vie collective et sociale, à laquelle les individus doivent consacrer plus de temps. Les anarchistes préconisent donc l’abolition de l’État, et une société d’entraide, dans laquelle les individus, responsables de leur destin, doivent s’organiser entre eux.
Errico Malatesta, L’anarchie (1900) |
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Le mot Anarchie nous vient du grec et signifie sans gouvernement, état d’un peuple qui se régit sans autorité constituée, sans gouvernement. (…) Changez l’opinion, persuadez le public que non seulement le gouvernement n’est pas nécessaire, mais qu’il est extrêmement dangereux et nuisible et alors le mot Anarchie, justement parce qu’il signifie absence de gouvernement, voudra dire pour tous : ordre naturel, harmonie des besoins et des intérêts de tous, liberté complète dans la solidarité. (…) Qu’est-ce que le gouvernement ? (…) La tendance métaphysique (…) qui, malgré les coups de la science positive, a encore de profondes racines dans l’esprit de la plupart des hommes contemporains, fait que beaucoup conçoivent le gouvernement comme une entité morale, douée de certains attributs de raison, de justice, d’équité, indépendants des personnes qui sont au gouvernement. (…) Pour nous, le gouvernement c’est la collectivité des gouvernants ; et les gouvernants, rois, présidents, ministres, députés, etc., sont ceux qui ont la faculté de faire les lois pour régler les rapports des hommes entre eux et de faire exécuter ces lois ; (…) Les gouvernants, en un mot, sont ceux qui ont la faculté, à un degré plus ou moins élevé, de se servir de la force sociale, soit de la force physique, intellectuelle et économique de tous, pour obliger tout le monde à faire ce qu’ils veulent eux-mêmes. (…) L’abolition du gouvernement ne signifie pas et ne peut pas signifier destruction de la connexion sociale. Bien au contraire, la coopération qui, aujourd’hui, est forcée, qui, aujourd’hui, est directement à l’avantage de quelques-uns, sera libre, volontaire et directe, à l’avantage de tous et en deviendra d’autant plus intense et efficace. L’instinct social, le sentiment de solidarité, se développeraient au plus haut degré ; chaque homme fera tout ce qu’il peut pour le bien des autres hommes, tant pour satisfaire ses sentiments affectifs que par intérêt bien compris. |
1. Que signifie le mot « anarchie » ? 2. Comment définit-on en général le mot « gouvernement » ? Comment les anarchistes le définissent-ils ? 3. Que serait la future société sans gouvernement prônée par les anarchistes ? |
Carlo Cafiero, Anarchie et Communisme (1880) |
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Anarchie, aujourd’hui, c’est l’attaque, c’est la guerre à toute autorité, à tout pouvoir, à tout État. Dans la société future, l’anarchie sera (…) pleine et entière liberté de l’individu qui, librement et poussé seulement par ses besoins, par ses goûts et ses sympathies, se réunit à d’autres individus dans le groupe ou dans l’association ; libre développement de l’association qui se fédère avec d’autres dans la commune ou dans le quartier ; libre développement des communes qui se fédèrent dans la région et ainsi de suite : les régions dans la nation ; les nations dans l’humanité. Dans la société future, le communisme sera la jouissance de toute la richesse existante, par tous les hommes et selon le principe : « De chacun selon ses facultés à chacun selon ses besoins », c’est-à-dire : De chacun et à chacun suivant sa volonté. |
Qu’est-ce qui distingue le marxisme de l’anarchisme, et qu’est-ce qu’ils ont en commun ? |