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3. Comment punir ? La question de la justice punitive

NOTION COMPLÉMENTAIRE : ÉTAT

EXERCICE : Est-il juste de se venger ?

  1. Étudiez les textes suivants. Les deux premiers (Hegel et Schopenhauer) défendent l’idée que la vengeance, différente de la punition, est toujours injuste. Le troisième (Simone de Beauvoir) affirme que la vengeance est à l’origine des idées de justice et de punition.
  2. À l’aide des arguments des trois textes, écrivez un dialogue entre deux personnages qui s’opposent dans leur réponse à la question « Est-il juste de se venger ? »
G. W. F. Hegel, Propédeutique philosophique (1808)
La vengeance se distingue de la punition en ce que l’une est une réparation obtenue par un acte de la partie lésée, tandis que l’autre est l’œuvre d’un juge. C’est pourquoi il faut que la réparation soit effectuée à titre de punition, car, dans la vengeance, la passion joue son rôle et le droit se trouve ainsi troublé.
De plus, la vengeance n’a pas la forme du droit, mais celle de l’arbitraire, car la partie lésée agit toujours par sentiment ou selon un mobile subjectif. Aussi bien le droit qui prend la forme de la vengeance constituant à son tour une nouvelle offense, n’est senti que comme conduite individuelle et provoque, inexpiablement, à l’infini, de nouvelles vengeances.
1. Qu’est-ce qui distingue la vengeance de la punition, selon Hegel ? Répondez en distinguant : l’auteur de l’acte, le but, et le résultat.
2. Pourquoi la punition est-elle préférable à la vengeance ?

OBJECTIF/SUBJECTIF.

On appelle objectif un jugement impartial, qui ne s’appuie que sur les faits et non sur les préférences personnelles de celui qui juge. Ce qui est objectif concerne l’objet du jugement, ce qui est jugé. Par exemple, « Ce tableau est rectangulaire. » est un jugement objectif.

On appelle subjectif un jugement partial, qui est influencé par le point de vue, les sentiments, sensations ou préférences personnelles de celui qui juge (le sujet). Par exemple, « J’aime beaucoup cet tableau. »

Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation (1819)
Le but immédiat du châtiment, considéré dans un cas donné, c’est l’accomplissement de ce contrat qu’on nomme la loi. Or la loi, elle, ne peut avoir qu’un but : détourner chacun, par la crainte, de toute violation du droit d’autrui ; car c’est pour être à l’abri de toute agression injuste, que chacun des contractants s’est uni aux autres dans l’État, a renoncé à toute entreprise injuste (…). La loi et l’accomplissement de la loi, en d’autres termes le châtiment, ont donc essentiellement en vue l’avenir, nullement le passé. Voilà ce qui distingue le châtiment de la vengeance, qui tire ses motifs de certains faits accomplis, c’est-à-dire du passé. Frapper l’injuste en lui infligeant une souffrance, sans poursuivre en cela un résultat à venir, c’est là la vengeance ; et elle ne peut avoir qu’un but : se donner le spectacle de la souffrance d’autrui, se dire qu’on en est la cause, et se sentir par-là consolé de la sienne propre. Pure méchanceté, pure cruauté ; pour de pareils actes, la morale n’a pas de justification. Le tort qu’on m’a fait ne m’autorise pas à infliger pareil tort à autrui. Rendre le mal pour le mal, sans chercher à voir plus loin, c’est ce qui ne peut se justifier ni par des motifs moraux, ni par aucun autre motif raisonnable.
1. Quel est le but d’une punition, selon Schopenhauer ?
2. Pourquoi la vengeance est-elle un châtiment injuste ?
Simone de Beauvoir, Œil pour œil (Revue “Les temps modernes”, 1946)
« Il le paiera » ; le mot est expressif : payer, c’est fournir un équivalent de ce qu’on a reçu ou pris. Le désir d’équivalence s’exprime plus exactement dans la fameuse loi du talion : « œil pour œil, dent pour dent ». (…)
J’ai entendu un maquisard (1) raconter comment il avait appliqué le talion à un milicien (2) coupable d’avoir torturé une femme : « il a compris », a-t-il conclu sobrement. Ce mot (…) nous dénonce l’intention profonde de la vengeance. Il ne s’agit pas ici d’une intellection abstraite, mais (…) d’une opération par laquelle notre être tout entier réalise une situation ; on comprend un instrument en l’utilisant, on comprend une torture en l’éprouvant. Mais que le bourreau ressente, à son tour, ce qu’a ressenti la victime, cela ne saurait apporter de remède au mal qu’il a causé ; il faut que par delà cette souffrance ressuscitée, ressuscite aussi la totalité d’une situation : le tortionnaire se croyait conscience souveraine et pure liberté en face d’une misérable chose torturée ; le voilà chose torturée à son tour, il éprouve la tragique ambiguïté de sa condition d’homme ; ce qu’il doit comprendre, c’est que la victime, dont il partage l’abjection, partageait aussi avec lui les privilèges qu’il croyait pouvoir s’arroger ; et il ne le comprend pas par la pensée, d’une manière spéculative : il réalise concrètement ce retournement de situation ; réellement et concrètement il rétablit ce rapport de réciprocité entre consciences humaines dont la négation constitue la plus fondamentale des injustices. Objet pour autrui, chaque homme est sujet pour soi, et il revendique âprement d’être reconnu comme tel (…) Ce respect qu’il exige pour soi, chacun le réclame aussi pour ses proches et finalement pour tous les hommes : l’affirmation de la réciprocité des rapports interhumains, c’est la base métaphysique de l’idée de justice ; c’est elle que la vengeance s’efforce de rétablir contre la tyrannie d’une liberté qui s’est voulue souveraine.

(1) Résistant pendant l’occupation allemande de la France
(2) Collaborateur de l’Allemagne pendant l’occupation
1. Expliquez le sens de l’expression « Il le paiera ».
2. Exemple du maquisard et du milicien : que recherche exactement le maquisard en se vengeant ?
3. En quoi consiste « la plus fondamentale des injustices » ?
4. Quelle est « la base métaphysique de l’idée de justice » ?